Les jeunes aiment toujours lire, mais…

Que nous apprend l’enquête « Les jeunes Français et la lecture » publiée le 23 mars dernier par le Centre national du livre (CNL) ?

D’abord, que les jeunes de 7 à 25 ans sont nombreux à avoir le goût de la lecture, puisque 84% déclarent aimer lire (42% aiment bien et 42% adorent !) et 81% lisent non pas parce qu’ils y sont contraints, mais bel et bien pour le plaisir, avec au compteur plus de 4 livres au cours des 3 derniers mois. Sans surprise, les BD, mangas et comics arrivent en tête des choix pour 73% des 7-19 ans, alors que la plupart des 20-25 ans (58%) préfèrent encore les romans.

Matthias Stom (Stomer) (vers 1600-après 1650)

Toutefois, on relèvera deux bémols :

D’une part, le fait que cette activité « décline fortement après l’entrée au collège », en raison notamment des écrans qui phagocytent l’emploi du temps des jeunes : l’ensemble des 7-25 ans leur consacrent en effet 3h50 par jour, contre 3h14 pour la lecture loisir… par semaine !

D’autre part, que la baisse de la lecture plaisir après 12 ans touche plus fortement les garçons que les filles : « 68% des garçons lisent pour leurs loisirs à 13-15 ans contre 81% des filles au même âge. »

Il serait nécessaire d’interroger les stéréotypes à l’oeuvre dans ce désamour genré, en classe comme à la maison, afin de ne pas conduire les garçons à penser que cette activité ne serait pas faite pour eux ou qu’ils auraient « mieux » à faire.

Nathalie Anton

Les jeunes et les stéréotypes de genre

Quel regard les jeunes, principalement entre 17 et 19 ans, portent-ils sur « la répartition des rôles sociaux des femmes et des hommes dans la sphère familiale, professionnelle et dans la société » ? C’est ce qu’a cherché à savoir le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCE), qui a publié le 28 février dernier un rapport intitulé « Égalité, stéréotypes, discriminations entre les femmes et les hommes : perceptions et vécus de l’égalité chez les jeunes générations. » Extraits…

Quelques points positifs

  • 9 répondant·es sur 10 jugent les relations filles-garçons sur leur lieu d’études ou de travail comme globalement bonnes.
  • 74 % des filles et 54 % des garçons interrogé·es pensent qu’il y a encore beaucoup à faire pour atteindre une égalité réelle.
  • 93 % des filles et 87 % des garçons interrogé·es dans le sondage BVA/HCE affirment que les tâches domestiques doivent être réparties à parts égales dans un couple.

Quelques exemples de stéréotypes persistants

Les tâches domestiques : 75 % des filles ressentent le poids de l’éducation stéréotypée et l’accusent de générer à leur encontre des attentes supérieures à celles des hommes. Plus de la moitié des garçons (55 %) en est aussi consciente.

Les activités sportives : l’équitation, la gymnastique, les sports de glace ou la danse sont pratiqués à plus de 80 % par des femmes, alors que le football et le rugby sont pratiqués à plus de 90 % par des hommes. Les perceptions quant à l’usage sportif semblent stagner : pour les garçons, le sport est vu comme leur permettant de « se défouler » et devenir forts (physiquement et mentalement), alors qu’il permet aux filles d’apprendre à être dociles et disciplinées, ainsi qu’à
valoriser l’esthétique.

L’apparence physique : les standards de beauté féminine et masculine mis en avant sur les réseaux sociaux causent chez de nombreux jeunes une dysmorphophobie, c’est-à-dire une préoccupation démesurée pour un ou plusieurs défauts de l’apparence physique inexistants ou légers aux yeux des autres. Les 18-34 ans font désormais plus de chirurgie que la tranche des 50-60 ans, d’après les chiffres présentés au congrès IMCAS en 2019.

L’orientation scolaire : à la rentrée 2021 en filière générale, les filles étaient sous-représentées dans toutes les matières scientifiques – hormis la SVT qui compte 63 % de filles. Avant la réforme de 2019, les terminales S comptaient presque une moitié de filles (48,4 %), qui faisaient des mathématiques à un niveau intensif. En 2021, selon les dernières données disponibles, elles n’étaient plus que 38,6 %. En lycée professionnel, les jeunes filles sont plutôt mal accueillies dans les filières techniques majoritairement masculines où elles sont souvent la cible de propos et de comportements vexatoires à caractère sexiste, et leur présence y est souvent ressentie par leurs condisciples masculins comme une provocation au regard des valeurs viriles qui restent attachées et valorisées dans ces professions.

La sexualité et les violences sexuelles : quatre garçons sur dix ne pensent pas qu’il y a une différence de traitement entre les filles et les garçons dans l’espace public : pourtant ils sont
deux fois plus nombreux (81 %) à considérer qu’il est plus dangereux de sortir tard le soir pour une fille. 40 % des 18-24 ans ne considèrent toujours pas comme un viol le fait de « menacer une personne pour qu’elle accepte d’avoir des relations sexuelles sans résistance ». 36 % pensent qu’une femme peut prendre plaisir à être humiliée ou injuriée, 23 % estiment qu’elle prend du plaisir à être forcée. Près d’un quart des 18-24 ans estime que lorsqu’une femme dit « non » pour une relation sexuelle, cela veut dire « oui », alors que c’est le cas pour « seulement » encore 11 % de l’ensemble des Français·es. Forcer sa partenaire à avoir un rapport sexuel alors qu’elle refuse est perçu comme un viol par seulement 59 % d’hommes de 18 à 24 ans, contre 82 % de femmes de la même tranche d’âge. Pénétrer son partenaire avec les doigts alors qu’il/elle dit « non » est un viol pour seulement 58 % des jeunes hommes, contre 89 % des jeunes femmes.

La prévention scolaire : 71 % des filles et 51 % des garçons interrogé·es dans le sondage HCE-SDFE/BVA affirment que les sujets de harcèlement et de violences ne sont pas assez évoqués au cours de leur scolarité et qu’ils se sentent désarmé·es. De même, 48 % estiment que la thématique des relations affectives et sexuelles n’est pas suffisamment abordée pendant la scolarité.

Vous trouverez bien d’autres chiffres dans ce rapport du HCE que je recommande, mais aussi des explications éclairantes et des préconisations judicieuses pour lutter contre les discriminations, violences et stéréotypes sexistes qui se perpétuent encore chez les jeunes, bien qu’ils en aient davantage conscience.

Nathalie Anton

« Préliminaires » : un documentaire saisissant sur l’entrée dans la sexualité des ados

A l’orée de ces vacances scolaires, que je souhaite excellentes à tous, en espérant notamment que le succès aux examens aura été au rendez-vous, je voulais évoquer ce documentaire édifiant intitulé Préliminaires”, réalisé en 2019 par Julie Talon et diffusé sur Arte, qui évoque l’entrée dans la sexualité des collégiens et lycéens, et les étapes obligées qu’elle implique. 

Des jeunes de 12 à 23 ans parlent avec pudeur mais sans fard de ces nouveaux rites qui jalonnent un passage souvent éprouvant et humiliant vers des relations sexuelles enfin consenties et épanouies. On y découvre leur désarroi face à des actes présentés comme “démystifiés”, “institutionnalisés”, à faire “dans un certain ordre”, pour éviter de faire partie des “cassos” (les ringards) ou des “ché-quo” (les prudes). L’idée que “tout le monde le fait”, reposant sur des vantardises souvent fausses, conduit à accepter des attouchements ou des fellations au prétexte que “c’est normal” ou que ce n’est pas “du vrai sexe”.

L’éclairage que ces adolescents et jeunes adultes apportent sur la pression sociale exercée sur les corps à épiler, sur la culture des sextos, des nudes (ou photos de soi dénudées) et des dick picks (photos de sexes en érection), ou encore sur les pratiques banalisées de strangulation ou de pénétration anale mises en scène dans les vidéos pornographiques est incontestablement assez sombre. 

La question du consentement y est ainsi abordée de manière frontale : comment savoir s’il ne faut pas se forcer pour passer ces étapes ? Comment se faire accepter sans en passer par là ? Comment exprimer son ressenti à quelqu’un qu’on connaît mal ? Comment dire “je n’ai plus envie” quand les choses sont déjà engagées ? Combien de jeunes savent que toute pénétration non voulue, y compris digitale ou buccale, constitue un viol ? Tous s’accordent sur le fait que s’il est important d’apprendre à dire non, il est encore plus impératif d’apprendre à l’entendre : “Je disais non non non, et finalement j’ai dit oui pour me laisser faire” ; “C’est un compromis” ; “Au moins, ça met pas de complication dans l’histoire, je le fais, c’est pas si grave”… Les situations d’agression sexuelle et de viol affleurent, avec la difficulté d’en parler ensuite, “par peur”, “par honte”, “parce qu’on ne parle pas de sexe avec ses parents. Et ces situations concernent majoritairement les filles, l’égalité de genre étant malheureusement loin d’être acquise dans ce domaine où l’homme doit posséder le corps des femmes et faire valoir avant tout son propre plaisir.

Autre source de peur et de honte, celle de l’homosexualité notamment masculine, toujours très peu acceptée : les risques de moqueries, d’insultes, de coups empêchent les jeunes homosexuels de vivre des histoires amoureuses comme les autres. “Ce qui est apparu dans mon ventre, ce n’était pas des papillons, c’était un monstre”, explique avec émotion un jeune homme décrivant le moment où il a pris conscience qu’il était attiré par les garçons. “Je suis en colère contre tous les adultes qui m’ont laissé comme ça… Vous n’entendiez pas dans les vestiaires quand on me traitait de pédé, quand on me touchait les fesses dans la cour de récréation ? Je suis en colère contre mes proches, aussi : j’aurais bien aimé qu’ils se manifestent un peu plus et qu’ils me disent : t’es pas un fléau.

Incontestablement, c’est ce silence qui règne encore en maître entre les amants, les amis, les enfants et leurs parents, les élèves et leurs enseignants qu’il faut pouvoir briser, et c’est tout l’enjeu de ce documentaire essentiel qui libère non seulement la parole des jeunes, mais qui nous offre l’occasion d’en parler.

Nathalie Anton