Le harcèlement scolaire : accueillir la parole des enfants à l’école.

Un sondage passionnant sur le harcèlement scolaire réalisé par l’IFOP, l’Institut français d’opinion publique, pour l’association Marion La Main Tendue a été publié le 7 novembre dernier : en voici le lien ! Je ne retiendrai qu’une infographie : celle qui montre à quel point l’école est encore loin malheureusement d’être l’interlocutrice des élèves sur ce sujet, alors même que les faits de harcèlement se déroulent en son sein. On ne peut qu’espérer que les nouvelles mesures annoncées par le ministre de l’Education nationale, notamment la formation des personnels et les temps dédiés à l’empathie, changent cet état de fait.

Nathalie Anton

Enquête de climat scolaire et de victimation 2022

Les résultats de l’enquête collège de climat scolaire et de victimation(1) réalisée au printemps 2022 par le ministère de l’Education nationale et de la jeunesse ont été publiés le mois dernier par la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (Depp). Si « 93 % des collégiens déclarent se sentir « bien » ou « tout à fait bien » dans leur établissement scolaire », quelques chiffres attirent l’attention cependant :

En ce qui concerne les relations entre pairs, les élèves sont moins nombreux qu’en 2017 à déclarer avoir « plutôt beaucoup » ou « beaucoup » d’amis (81 % contre 89 % chez les filles, et 87 % contre 91 % chez les garçons). On peut légitimement se demander si le Covid n’a pas eu un effet sur la sociabilisation des plus jeunes.

Un point positif, les élèves sont plus nombreux à déclarer observer « pas du tout ou pas beaucoup de violence dans le collège » (79,6 en 2022 contre 77,7 % en 2017). On déplore cependant toujours une nette différence dans les déclaration entre les élèves des établissements en réseau d’éducation prioritaire (REP+) qui ne sont que 65,1 % à soutenir ce constat. Globalement, les atteintes les plus fréquentes sont les vols de fournitures scolaires (54 % des collégiens), les surnoms désagréables (44 %), les insultes (43 %) et les mises à l’écart (43 %).

Par rapport au travail scolaire, « 70 % des élèves jaugent leur travail scolaire hebdomadaire (en dehors des heures de cours) inférieur à deux heures ». En réseau d’éducation prioritaire renforcé (REP+), ce taux atteint 82 %. » Ce chiffre interroge : les devoirs maison auraient-ils largement décru ? Les élèves seraient-ils plus efficaces ? Auraient-ils moins de temps à leur consacrer ? Mystère…

Autre chiffre particulièrement frappant : seuls 48,8 % des collégiens interrogés sont « plutôt d’accord ou tout à fait d’accord à l’idée que ce que l’on apprend est utile pour plus tard »… Quelle fracture entre ce qui semble relever de l’évidence pour l’institution (notamment en termes de formation du citoyen), et ces jeunes qu’elle accueille ! D’ailleurs, si 87 % des élèves de sixième jugent que le contenu de l’apprentissage est plutôt ou tout à fait intéressant, ils ne sont plus que 70 % en classe troisième à le penser… Edifiant.

Côté relations avec les adultes, la perception de l’injustice des punitions scolaires s’est encore accrue : seulement 67,5 % des collégiens en 2022 estiment que les sanctions et les punitions sont plutôt ou très justes, contre 70,1 % en 2017. Certes, les élèves punis sont rarement contents de l’être, mais passé ce mouvement d’amertume, les discussions avec les adultes devraient idéalement permettre de comprendre la punition et le respect des règles pour assurer le vivre ensemble.

Enfin, je relèverai quelques reproductions de stéréotypes de genre mises au jour par l’enquête : les punitions touchent deux fois moins les filles que les garçons (37 % contre 63 %), signe probable que ces derniers intériorisent la transgression comme marqueur de virilité. Par ailleurs, sans surprise, hélas, « les filles ont un sentiment de sécurité moindre dans les transports pour venir au collège : 78 % d’entre elles déclarent s’y sentir plutôt ou tout à fait en sécurité contre 91 % des garçons. » Ainsi, parmi les 16 % des élèves ayant déclaré ne pas être venus au collège par peur, au moins une fois dans l’année scolaire, elles sont sont deux fois plus nombreuses que les garçons.

Ces chiffres offrent matière à réflexion pour les éducateurs que nous sommes : le climat scolaire est fortement corrélé à la réussite et au bien-être des jeunes accueillis dans les établissement, c’est pourquoi son amélioration doit rester une priorité !

Nathalie Anton

(1)Traore B., 2023, « 93 % des élèves déclarent se sentir « bien » ou « tout à fait bien » dans leur collège », Note d’Information, n° 23.07, DEPP. https://doi.org/10.48464/ni-23-07

Le sexisme moteur de harcèlement et de cyber-harcèlement

Deux journées de prévention sont mises à l’honneur à une semaine d’intervalle : celle consacrée à la lutte contre le harcèlement à l’école du 18 novembre, et celle dédiée à l’élimination de la violence à l’égard des femmes du 25 novembre.

Toutes deux entretiennent malheureusement des liens étroits, puisque l’on sait que les femmes sont majoritairement victimes de cyber-harcèlement : humiliations, insultes, propagations de rumeurs, affichage non consenti de photos intimes … Internet décuple la violence du harcèlement en créant une pression 24h/24h, en favorisant l’anonymat des harceleurs, en produisant des effets de meute, en banalisant les actions blessantes telles qu’un « simple » like ou un « simple » partage d’information à d’autres personnes au détriment de la victime, et tout ça, dans la plus grande discrétion puisque un clic est moins sonore ou voyant qu’une claque.

https://www.education.gouv.fr/non-au-harcelement/faire-face-au-sexting-non-consenti-et-au-revenge-porn-325394

Le préjugé sexiste associant les garçons homosexuels à sous-hommes efféminés, ou assignant les filles à un stéréotype de la féminité conduit également à des violences homophobes et transphobes. Comme l’explique l’UNESCO : « La violence fondée sur l’orientation sexuelle et sur l’identité/expression de genre est souvent dirigée contre les élèves qui sont, ou sont perçus comme étant, lesbiennes, homosexuels, bisexuels (homophobie), transgenres (transphobie) et contre d’autres personnes dont l’expression de genre ne s’inscrit pas dans des normes sexuelles binaires, à l’instar des garçons perçus comme efféminés et des filles perçues comme masculines. Il s’agit là d’une forme de violence de genre.« 

Casser les tabous sur ces questions de harcèlement et de cyber-sexisme à l’école et en famille est impératif pour plusieurs raisons.

D’abord, pour que les éducateurs aient tous bien conscience qu’elles existent et qu’elles ne doivent pas être minimisées : 700 000 élèves seraient victimes de harcèlement scolaire, et l’on connaît désormais les conséquences parfois fatales qui en découlent. Il faut maintenir la vigilance, ouvrir le dialogue, mettre en oeuvre des actions de prévention, s’informer et communiquer sur les ressources telles que le 3018, le nouveau numéro national pour les jeunes victimes de violences numériques, ou l’association e-Enfance qui protège les enfants et les adolescents des dangers d’Internet.

Ensuite, pour que les témoins qui se sentent souvent innocents prennent conscience, d’une part, du rôle complice incitatif qu’ils jouent dans les agissements du harceleur, et d’autre part, dans le sentiment d’isolement et de honte de la victime.

Enfin, pour que ces dernières se sentent soutenues et rassurées : la honte n’est pas de leur côté. Elle réside dans l’intolérance, dans l’incapacité à reconnaître autrui dans sa singularité, dans le fait d’exercer des violences physiques, verbales, psychologiques en raison de différences liées à l’âge, l’apparence physique, le handicap, l’origine ethnique, les croyances religieuses, le statut socio-économique, ou, comme nous l’avons vu, le genre, le sexe et l’orientation sexuelle. Même dans les cas de « revenge porn » où un.e ex. malveillant.e publie des photos ou des vidéos intimes de son ancien.ne partenaire, la honte est du côté du premier, et pas du second. On sait qu’aujourd’hui, les échanges de sextos font partie des rapports amoureux, surtout chez les adolescents qui explorent leur séduction et leur sensualité. Blâmer une personne pour avoir partagé, dans une relation intime, des photos d’elle-même n’est pas constructif. Il faut au contraire lui rappeler que ce sont les agissements du harceleur qui sont répréhensibles et condamnés par la loi.

Pour en savoir plus, je renvoie à deux émissions de France Culture diffusées sur ces problématiques cette semaine, Etre et Savoir et Le Meilleur des mondes, et à la série web-documentaire Revenge en replay sur France.tv Slash, sur la pornodivulgation ou revenge porn, avec la traque des comptes « fisha », qui affichent des photos intimes non consenties :

https://www.franceculture.fr/emissions/le-meilleur-des-mondes/comptes-fisha-revenge-porn-et-effet-de-meute-comment-lutter-contre-le-cyberharcelement

https://www.franceculture.fr/emissions/etre-et-savoir/comment-faire-reculer-le-harcelement-scolaire

https://www.france.tv/slash/revenge/

Nathalie Anton