Les jeunes et les stéréotypes de genre

Quel regard les jeunes, principalement entre 17 et 19 ans, portent-ils sur « la répartition des rôles sociaux des femmes et des hommes dans la sphère familiale, professionnelle et dans la société » ? C’est ce qu’a cherché à savoir le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCE), qui a publié le 28 février dernier un rapport intitulé « Égalité, stéréotypes, discriminations entre les femmes et les hommes : perceptions et vécus de l’égalité chez les jeunes générations. » Extraits…

Quelques points positifs

  • 9 répondant·es sur 10 jugent les relations filles-garçons sur leur lieu d’études ou de travail comme globalement bonnes.
  • 74 % des filles et 54 % des garçons interrogé·es pensent qu’il y a encore beaucoup à faire pour atteindre une égalité réelle.
  • 93 % des filles et 87 % des garçons interrogé·es dans le sondage BVA/HCE affirment que les tâches domestiques doivent être réparties à parts égales dans un couple.

Quelques exemples de stéréotypes persistants

Les tâches domestiques : 75 % des filles ressentent le poids de l’éducation stéréotypée et l’accusent de générer à leur encontre des attentes supérieures à celles des hommes. Plus de la moitié des garçons (55 %) en est aussi consciente.

Les activités sportives : l’équitation, la gymnastique, les sports de glace ou la danse sont pratiqués à plus de 80 % par des femmes, alors que le football et le rugby sont pratiqués à plus de 90 % par des hommes. Les perceptions quant à l’usage sportif semblent stagner : pour les garçons, le sport est vu comme leur permettant de « se défouler » et devenir forts (physiquement et mentalement), alors qu’il permet aux filles d’apprendre à être dociles et disciplinées, ainsi qu’à
valoriser l’esthétique.

L’apparence physique : les standards de beauté féminine et masculine mis en avant sur les réseaux sociaux causent chez de nombreux jeunes une dysmorphophobie, c’est-à-dire une préoccupation démesurée pour un ou plusieurs défauts de l’apparence physique inexistants ou légers aux yeux des autres. Les 18-34 ans font désormais plus de chirurgie que la tranche des 50-60 ans, d’après les chiffres présentés au congrès IMCAS en 2019.

L’orientation scolaire : à la rentrée 2021 en filière générale, les filles étaient sous-représentées dans toutes les matières scientifiques – hormis la SVT qui compte 63 % de filles. Avant la réforme de 2019, les terminales S comptaient presque une moitié de filles (48,4 %), qui faisaient des mathématiques à un niveau intensif. En 2021, selon les dernières données disponibles, elles n’étaient plus que 38,6 %. En lycée professionnel, les jeunes filles sont plutôt mal accueillies dans les filières techniques majoritairement masculines où elles sont souvent la cible de propos et de comportements vexatoires à caractère sexiste, et leur présence y est souvent ressentie par leurs condisciples masculins comme une provocation au regard des valeurs viriles qui restent attachées et valorisées dans ces professions.

La sexualité et les violences sexuelles : quatre garçons sur dix ne pensent pas qu’il y a une différence de traitement entre les filles et les garçons dans l’espace public : pourtant ils sont
deux fois plus nombreux (81 %) à considérer qu’il est plus dangereux de sortir tard le soir pour une fille. 40 % des 18-24 ans ne considèrent toujours pas comme un viol le fait de « menacer une personne pour qu’elle accepte d’avoir des relations sexuelles sans résistance ». 36 % pensent qu’une femme peut prendre plaisir à être humiliée ou injuriée, 23 % estiment qu’elle prend du plaisir à être forcée. Près d’un quart des 18-24 ans estime que lorsqu’une femme dit « non » pour une relation sexuelle, cela veut dire « oui », alors que c’est le cas pour « seulement » encore 11 % de l’ensemble des Français·es. Forcer sa partenaire à avoir un rapport sexuel alors qu’elle refuse est perçu comme un viol par seulement 59 % d’hommes de 18 à 24 ans, contre 82 % de femmes de la même tranche d’âge. Pénétrer son partenaire avec les doigts alors qu’il/elle dit « non » est un viol pour seulement 58 % des jeunes hommes, contre 89 % des jeunes femmes.

La prévention scolaire : 71 % des filles et 51 % des garçons interrogé·es dans le sondage HCE-SDFE/BVA affirment que les sujets de harcèlement et de violences ne sont pas assez évoqués au cours de leur scolarité et qu’ils se sentent désarmé·es. De même, 48 % estiment que la thématique des relations affectives et sexuelles n’est pas suffisamment abordée pendant la scolarité.

Vous trouverez bien d’autres chiffres dans ce rapport du HCE que je recommande, mais aussi des explications éclairantes et des préconisations judicieuses pour lutter contre les discriminations, violences et stéréotypes sexistes qui se perpétuent encore chez les jeunes, bien qu’ils en aient davantage conscience.

Nathalie Anton

Le sexisme moteur de harcèlement et de cyber-harcèlement

Deux journées de prévention sont mises à l’honneur à une semaine d’intervalle : celle consacrée à la lutte contre le harcèlement à l’école du 18 novembre, et celle dédiée à l’élimination de la violence à l’égard des femmes du 25 novembre.

Toutes deux entretiennent malheureusement des liens étroits, puisque l’on sait que les femmes sont majoritairement victimes de cyber-harcèlement : humiliations, insultes, propagations de rumeurs, affichage non consenti de photos intimes … Internet décuple la violence du harcèlement en créant une pression 24h/24h, en favorisant l’anonymat des harceleurs, en produisant des effets de meute, en banalisant les actions blessantes telles qu’un « simple » like ou un « simple » partage d’information à d’autres personnes au détriment de la victime, et tout ça, dans la plus grande discrétion puisque un clic est moins sonore ou voyant qu’une claque.

https://www.education.gouv.fr/non-au-harcelement/faire-face-au-sexting-non-consenti-et-au-revenge-porn-325394

Le préjugé sexiste associant les garçons homosexuels à sous-hommes efféminés, ou assignant les filles à un stéréotype de la féminité conduit également à des violences homophobes et transphobes. Comme l’explique l’UNESCO : « La violence fondée sur l’orientation sexuelle et sur l’identité/expression de genre est souvent dirigée contre les élèves qui sont, ou sont perçus comme étant, lesbiennes, homosexuels, bisexuels (homophobie), transgenres (transphobie) et contre d’autres personnes dont l’expression de genre ne s’inscrit pas dans des normes sexuelles binaires, à l’instar des garçons perçus comme efféminés et des filles perçues comme masculines. Il s’agit là d’une forme de violence de genre.« 

Casser les tabous sur ces questions de harcèlement et de cyber-sexisme à l’école et en famille est impératif pour plusieurs raisons.

D’abord, pour que les éducateurs aient tous bien conscience qu’elles existent et qu’elles ne doivent pas être minimisées : 700 000 élèves seraient victimes de harcèlement scolaire, et l’on connaît désormais les conséquences parfois fatales qui en découlent. Il faut maintenir la vigilance, ouvrir le dialogue, mettre en oeuvre des actions de prévention, s’informer et communiquer sur les ressources telles que le 3018, le nouveau numéro national pour les jeunes victimes de violences numériques, ou l’association e-Enfance qui protège les enfants et les adolescents des dangers d’Internet.

Ensuite, pour que les témoins qui se sentent souvent innocents prennent conscience, d’une part, du rôle complice incitatif qu’ils jouent dans les agissements du harceleur, et d’autre part, dans le sentiment d’isolement et de honte de la victime.

Enfin, pour que ces dernières se sentent soutenues et rassurées : la honte n’est pas de leur côté. Elle réside dans l’intolérance, dans l’incapacité à reconnaître autrui dans sa singularité, dans le fait d’exercer des violences physiques, verbales, psychologiques en raison de différences liées à l’âge, l’apparence physique, le handicap, l’origine ethnique, les croyances religieuses, le statut socio-économique, ou, comme nous l’avons vu, le genre, le sexe et l’orientation sexuelle. Même dans les cas de « revenge porn » où un.e ex. malveillant.e publie des photos ou des vidéos intimes de son ancien.ne partenaire, la honte est du côté du premier, et pas du second. On sait qu’aujourd’hui, les échanges de sextos font partie des rapports amoureux, surtout chez les adolescents qui explorent leur séduction et leur sensualité. Blâmer une personne pour avoir partagé, dans une relation intime, des photos d’elle-même n’est pas constructif. Il faut au contraire lui rappeler que ce sont les agissements du harceleur qui sont répréhensibles et condamnés par la loi.

Pour en savoir plus, je renvoie à deux émissions de France Culture diffusées sur ces problématiques cette semaine, Etre et Savoir et Le Meilleur des mondes, et à la série web-documentaire Revenge en replay sur France.tv Slash, sur la pornodivulgation ou revenge porn, avec la traque des comptes « fisha », qui affichent des photos intimes non consenties :

https://www.franceculture.fr/emissions/le-meilleur-des-mondes/comptes-fisha-revenge-porn-et-effet-de-meute-comment-lutter-contre-le-cyberharcelement

https://www.franceculture.fr/emissions/etre-et-savoir/comment-faire-reculer-le-harcelement-scolaire

https://www.france.tv/slash/revenge/

Nathalie Anton

Les garçons et l’homophobie à l’école

Savez-vous que l’insulte « pédé » est celle qui est la plus utilisée dans les cours de récréation ? Même si certains élèves la profèrent par habitude, sans totalement adhérer à ce qu’elle signifie, les enfants saisissent dès le plus jeune âge que le fait d’aimer quelqu’un du même sexe est condamnable, voire dangereux, puisque d’après l’association SOS homophobie, les insultes se doublent de mises à l’écart, de harcèlement et d’agressions.

https://cache.media.eduscol.education.fr/file/MDE/53/4/Dossier_formation_LGBTphobies_Academie_Poitiers_2019_1125534.pdf
  • Pourquoi parler des garçons aujourd’hui ?

Parce que ce sont ceux qui sont le plus exposés aux insultes homophobes à l’école, comme le révèlent les enquêtes de climat scolaire, et ceux qui témoignent le plus d’agressions auprès de l’association SOS Homophobie (environ 70% de témoignages proviennent d’hommes, contre 30% de femmes).

  • Comment expliquer ce décalage ?

Par le fait que l’homophobie ne repose pas seulement sur le rejet de l’amour qu’un individu éprouve pour une personne du même sexe, mais sur une dévalorisation du féminin par rapport au masculin. L’idée qu’un homme puisse se comporter comme une femme, en adoptant des traits perçus comme féminins, ou en tombant amoureux d’un autre homme, voire en étant passif car pénétré dans la relation sexuelle reste encore pour beaucoup inconcevable. L’insulte « enculé » est à ce titre tout à fait explicite.

  • D’où vient cette dévalorisation du féminin ?

Culturellement, la différence morphologique liée à la reproduction entre les sexes a conduit à une vision complémentaire des rôles, des aptitudes et des traits de caractère : schématiquement, ce que la femme fait, l’homme ne le fait pas ; ce que l’homme est, la femme ne l’est pas. Or cette division des qualités a conduit à une hiérarchie entre les sexes : l’homme est perçu comme le sexe « fort », courageux, autonome, raisonnable, alors que la femme, apparentée au sexe « faible », serait fragile, dépendante et émotive. L’homme, plus spirituel, est vu comme celui qui conquiert, qui entreprend et qui innove, tandis que la femme, perçue comme plus instinctive, se cantonne à mettre au monde, soigner et nourrir.

Même si ces stéréotypes de genre évoluent fort heureusement, notamment grâce à la loi qui accorde désormais les mêmes droits aux femmes qu’aux hommes, il reste plus aisé de valoriser les traits masculins chez une petite fille, que les traits féminins chez un petit garçon. Féminiser le masculin comporte en effet toujours la crainte de dégrader l’image que l’on se fait d’un homme, alors que masculiniser le féminin consiste à rajouter des qualités à une femme. Les preuves abondent : pensez aux pantalons ou couleurs vives autorisés pour les petites filles alors que les robes et le rose sont encore à proscrire pour les petits garçons ; ou bien aux activités sportives compétitives encouragées pour les filles alors que celles impliquant la grâce sont plus boudées par les garçons ; ou tout simplement au fait de valoriser qu’une petite fille soit « presque » un garçon à travers l’expression « garçon manqué », alors qu’à l’inverse, « une fille manquée » pour désigner un garçon est tout bonnement impensable : on sent bien qu’il s’agirait d’une double dégradation, celle d’être une fille, et ratée en plus !

Méfions-nous par conséquent de nos propres biais, et pensons à ne pas enfermer nos garçons dans les cases du virilisme et de l’hétéronormativité. L’homophobie et le sexisme sont intimement liées. Pour lutter contre la honte et la peur qui nourrissent le rejet des différences, il convient de valoriser toutes les qualités chez nos enfants, quel que soit leur sexe, de condamner tout propos ou attitude sexiste et, bien sûr, de mettre en avant le fait que les relations amoureuses entre personnes du même sexe existent !

Nathalie Anton

https://www.eyrolles.com/Loisirs/Livre/le-manuel-qui-dezingue-les-stereotypes-9782416000126/